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Cinéma le dernier film de Lucas Belvaux, Chez nous

Changer le monde, vers quoi ?

Changer le monde, vers quoi ?

Cinéma À trois mois de l’élection présidentielle qui pourrait voir arriver Marine Le Pen au second tour, le dernier film de Lucas Belvaux, Chez nous, approche la problématique du vote FN dans le Nord de la France. Engagé, politique, sans être à charge.

Changer le monde, vers quoi ?

Pauline habite un petit bourg de la région lensoise. C’est une infirmière à domicile dévouée, la mère aimante de deux enfants qu’elle élève seule, la fille attentionnée d’un vieux métallo et ancien syndicaliste CGT malade. Elle court partout, tout le temps, entre les petits pavillons proprets, les barres HLM des banlieues proches, l’école, le terrain de foot… Elle est jeune, dynamique, généreuse. Ce n’est pas tous les jours facile, mais elle « fait avec ». Souvent appelés au secours des plus vulnérables, elle et le médecin du coin se serrent les coudes. Il a soigné sa propre mère, morte d’un cancer. Il est disponible, il fait autorité. Il vit seul mais aurait sans doute fait un bon père. Alors, quand il lui propose de se présenter comme candidate aux élections municipales sur la liste du Bloc patriotique, une liste d’extrême droite, elle hésite, ne se sent pas légitime mais finit par se sentir fière d’être choisie, elle, la fille simple, la petite infirmière. Elle accepte pour « changer le monde ».

Le monde. La France. La société. Lucas Belvaux n’a cessé de les donner à voir pour mieux les comprendre dans toute son œuvre. On a bien sûr en tête le génial portrait des bourgeois grenoblois de la trilogie Un couple épatant, Cavale, Après la vie (2001). Mais on pense surtout à la folle épopée des ouvriers liégeois fauchés qui tentent un casse dans La raison du plus faible (2006), à la plongée dans l’effroi d’un grand patron parisien enlevé pour sa fortune dans Rapt (2009), à cet homme seul face à la culpabilité dans la nuit du Havre où une jeune femme a été assassinée sans que personne ne réagisse dans 38 Témoins (2012)... Lucas Belvaux regarde tous ces personnages se débattre avec leur conscience dans des situations de crise et ausculte les environnements dans lesquels ils évoluent comme des éléments déterminants. C’est encore le cas dans Pas son genre (2013) qui, sous ses airs de comédie romantique inoffensive, se révèle plutôt être la chronique dépouillée d’un amour impossible sur fond d’inégalités sociales et culturelles inextricables. Malgré leur désir, Jennifer, jeune coiffeuse et maman solo de la toute petite classe moyenne arrageoise – déjà incarnée par Emilie Dequenne – et son séduisant prof de philo fraîchement débarqué de la capitale se heurtent au mur invisible d’une société corsetée où les bourgeois ont honte de s’afficher avec les gueux. On est loin du dénouement heureux de Pretty Woman. Dans une séquence, un ivrogne crie à la figure du Parisien : « On est chez nous. »

Chez nous est le prolongement de ce cri de rage. Une colère qui vient de loin, qui gronde parmi ceux qui sont laissés pour compte comme il y en a tant dans ces anciens bassins ouvriers du Nord ; terrain de chasse privilégié du FN, tendance prolos, tendance Florian Philippot et son discours qui se permet d’emprunter au vocabulaire de la gauche. La scène d’affrontement entre Pauline et son vieux père, symbole du communiste déchu, est édifiante. Elle, voulant changer un système injuste, lui, droit dans ses bottes, faisant face à la trahison ultime de ses idéaux de solidarité, d’humanisme et de partage. Un communiste votant FN, lui, n’en sera pas... La figure du père et la question de la transmission forment presque une deuxième lecture du récit.

Car la première lecture est bien celle des mécanismes à l’œuvre chez ceux qui, dans trois mois, pourraient glisser un bulletin FN dans l’urne. Belvaux ne les juge pas, il les respecte, il donne à comprendre leur colère, et la première partie du film, portrait de cette France des oubliés, est particulièrement réussie. La mise en scène est fluide et Émilie Dequenne sert de révélateur naturel à cet environnement où elle avait déjà crevé l’écran, il y a près de vingt ans, en incarnant la Rosetta des frères Dardenne. L’autre moitié du film se penche davantage sur la nébuleuse des groupes néo-nazis qui gravitent autour du parti d’extrême droite, sujet central du roman Le Bloc*.

Son auteur, Jérôme Leroy, est le coscénariste de Chez nous, et a repris un certain nombre de thématiques et de personnages de son propre roman, sans qu’il s’agisse réellement d’une adaptation (le roman n’est d’ailleurs pas cité au générique du film). Le propos est documenté, il colle à une certaine réalité et a le mérite de révéler la violence, le racisme qui se cachent derrière les costumes chics et les discours policés – le film semble faire référence aux groupes activistes flamands issus (et exclus) du Vlaams Blok belge, parti flamand nationaliste autodissout en 2004 pour se transformer en un Vlaams Belang, plus présentable. Mais à ce stade, la mise en scène devient didactique, démonstrative et le personnage d’Agnès Dorgelles, à la tête du parti, est une caricature peu pertinente de Marine Le Pen, interprétée par Catherine Jacob dans un style un peu « Mère Ubu » (personnage qu’elle interpréta au théâtre il y a vingt-cinq ans). Lucas Belvaux peine à fusionner de façon convaincante l’adaptation informelle du roman de Jérôme Leroy et le récit social autour du personnage de Pauline, sa plus belle réussite.

*Le Bloc, roman de Jérôme Leroy, Gallimard,

304 pages, octobre 2011, 7,70 €

Chez nous, de Lucas Belvaux,

1 h 58, au ciné en ce moment.

Article publié le 9 mars 2017.


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