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De Mémoires d’ouvriers

Cinéma Une histoire sociale remise au premier plan
Auteur de nombreux documentaires, Gilles Perret alterne ici archives et témoignages afin de rendre visible l’histoire ouvrière depuis une vallée de Haute-Savoie.

De Mémoires d’ouvriers, de Gilles Perret.France. 1 h 19. C’est à Cluses, dans la vallée de l’Arve en Haute-Savoie, l’une des usines de l’industrie horlogère qui fleurirent là au début du XXe siècle. Celle-ci, sur la grand-place de la ville, appartenait à la famille Crettiez. D’anciennes photos nous montrent les puissants vestiges du bâtiment incendié. Que s’est-il passé qui ne ressurgit guère dans la mémoire de la ville et de ses habitants ? En 1904, pour la première fois dans l’histoire municipale, une liste « ouvrière » se présente face à celle des notables. Ces derniers l’emporteront au second tour, mais déclencheront une véritable vengeance de classe. Crettiez met à la porte sept ouvriers syndiqués dont plusieurs avaient eu le front de se porter candidats sur la liste prolétaire. La grève de protestation qui s’entame alors va gagner la vallée. La violence des actes de répression culminera le 18 juillet. Les fils Crettiez prennent les armes et, depuis l’étage d’un immeuble de la place, tirent sur la foule des manifestants. Cette fusillade d’un grand quart d’heure provoquera la mort de trois ouvriers. Trente-neuf personnes seront blessées. Une page sanglante s’est ouverte que Gilles Perret retrace en ouverture du film qu’il consacre à une histoire sociale de grande ampleur dont les contours ne se bornent pas aux sommets savoyards. Elle nous est ici restituée par une quantité d’archives filmées, par la parole de ses acteurs mêmes, jusqu’aux plus contemporains, par les historiens enfin, retissant son maillage que l’oubli distend. Ainsi de Michel Etievent, « fils d’usine » de ce coin du monde qui de longue date s’emploie à réincarner cette mémoire ouvrière « absente des livres ». On retrouve grâce à lui la haute figure d’Ambroise Croizat, qui fut métallo dans une vallée voisine avant de devenir l’inventeur social que l’on sait. Et avec une égale émotion, ces ouvriers qui, par beau soir, tiraient leurs chaises au pied de la cité et dont les récits d’immigrés d’Espagne, d’Italie ou du Maghreb élargirent les premiers horizons du jeune Etievent. Gilles Perret convoque tout un répertoire d’images peu montrées, des premiers élans industriels qui naquirent dans les Alpes avec l’hydroélectricité, l’arrivée du train et les forces pléthoriques de paysans que la propriété montagnarde parcellisée ne nourrissait pas. Immenses barrages de la Girotte ou de Roselend qui, au cours de la reconstruction d’après-guerre, absorbèrent les forces vives de milliers d’ouvriers quand on éventrait la terre à bras d’homme, que les « maçons du ciel » coulaient sans filet les tonnes de béton. Labeur et solidarités, corps épuisés que la fierté redresse, quelques-uns témoignent à l’écran de ces temps pas si lointains où travail et dignité se conjuguaient encore, au sein d’un système d’exploitation déjà « crocs ouverts » mais qui aujourd’hui reprend tout ce qui lui fut arraché hier. Hommes et femmes des actuelles usines, métamorphosés en agents opérateurs tandis que, d’OPA en OPA, des actionnaires dont ils ne connaissent même plus le nom vident leurs ateliers, révèlent sans résignation la dégradation à l’œuvre. ?? Courchevel, près du chantier de quelques chalets sans prix et d’un hôtel mille étoiles, l’injonction « Investissez dans le bonheur » inscrit son obscénité sur panneau aveuglant.

Article publié le 12 mars 2012.


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